Coronavirus : les Africains de France ne savent plus où enterrer leurs morts

Les familles des victimes du Covid-19 peinent à rapatrier les corps dans leur pays d’origine ou, à défaut, à leur trouver une place dans un cimetière français.


Décédé du Covid-19, le patriarche ne pourra pas être inhumé, comme il l’aurait souhaité, dans son pays natal, l’Algérie. La nouvelle a été d’autant plus difficile à accepter pour Mohamed et sa famille que l’islam encourage les retours post-mortem vers les terres d’origine, à l’instar des deux autres monothéismes, judaïsme et christianisme, dans une moindre mesure. Comme beaucoup de croyants, ils s’étaient mis eux aussi à redouter plus que tout la mort d’un être cher dans cette France confinée où les funérailles sont abrégées et les rites empêchés.

« On a envisagé tous les scénarios possibles. Initialement, on voulait envoyer sa dépouille par avion-cargo. Puis on a eu l’espoir de pouvoir l’enterrer ici dans un premier temps, avant de le déterrer et de le renvoyer au pays une fois le confinement terminé. Mais religieusement, ce n’est pas possible », concède Mohamed. Lui et sa famille ont dû se résigner à enterrer leur parent dans le carré musulman du cimetière de la commune d’Ile-de-France où il résidait depuis une cinquantaine d’années. « Pour nous c’est bizarre. Ma grand-mère est enterrée là-bas et mon grand-père ici. On aurait aimé qu’ils soient réunis. »
Manque de carrés musulmans

Au-delà des traditions religieuses, le rapatriement est surtout un choix qui résonne avec le parcours migratoire des personnes décédées. « Par le rapatriement, il y a cette volonté de réintégrer le défunt dans une filiation et de réparer cette rupture des trajectoires familiales provoquée par la migration », explique Valérie Cuzol, chercheuse au centre Max-Weber, à Lyon, qui travaille sur les enjeux de l’inhumation chez les immigrés originaires du Maghreb et leurs descendants. Elle estime « entre 80 et 85 % » la proportion de rapatriement posthume chez cette population en France. « Même ceux qui sont nés ici sont majoritairement rapatriés à leur mort », ajoute-t-elle. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des données précises sur l’ampleur des rapatriements depuis la France en direction des pays africains, ils se compteraient chaque année par milliers.

La pratique est encadrée par les entreprises funéraires. Depuis le début de l’épidémie, le portable de Jamal, 36 ans, n’arrête pas de sonner. « On m’appelle quasiment toutes les heures pour m’annoncer un nouveau décès », reconnaît ce directeur de pompes funèbres musulmanes. Dans ses deux agences de Vitry-sur-Seine et Montreuil, en région parisienne, les familles se pressent pour organiser un enterrement ou demander un rapatriement, souvent en vain. « Des pays comme le Maroc, la Tunisie, la Guinée, le Mali, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire ne proposent plus de vols ou refusent les morts du Covid-19 », précise-t-il. Seule l’Algérie autorise encore les rapatriements de ses ressortissants décédés à l’étranger, sur présentation d’un certificat de non-contagion du défunt.

Lundi 13 Avril 2020
La Rédaction / Samboudiang Sakho

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